La Three Peaks Bike race est une course en solitaire et sans assistance dont le départ a été donné le 10 juillet 2021 à Vienne en Autriche. Le concept pour le parcours est de planifier soi-même sa trace en passant par les trois pics imposés et jusqu’à l’arrivée à Barcelone en Espagne. Découvrez le récit de Julien Duflot, sur son Axxome 350.
Three Peaks Bike Race – partie 1
Alpes et Dolomites, crampes de lancement
Six mois après mon inscription toujours inexpliquée, le départ de cette TPBR 2021 est donné devant le château de Schönbrunn à Vienne pour un premier groupe de coureurs dont je fais partie. Les débuts sont difficiles, ils le sont toujours, et je ressens comme un affaissement en prenant la mesure de ce qui n’était qu’une vague idée d’aventure à vélo jusque-là.
Les fortes chaleurs, flirtant avec les 40°C au soleil ont aussi plombé le lancement. Déshydraté assez vite, j’ai subi en soirée un gros coup de fatigue s’ajoutant aux douleurs multiples et inhabituelles, signaux envoyés par le corps et l’esprit : quelque chose d’anormal se prépare.
Et puis j’en ai l’habitude maintenant, ses mauvaises sensations s’évaporent en roulant. En forçant l’hydratation j’ai rétabli la forme et me suis rapidement trouvé seul une fois les petits groupes éparpillés à la sortie de Vienne.
Sur le Three Peaks Bike Race, l’itinéraire est libre entre chaque point de contrôle et ma route à l’est pour rejoindre le Mangart, 1er point de contrôle, n’était pas choisie par la majorité des coureurs – que l’on peut suivre sur son GSM grâce au tracker GPS qui nous accompagne tous. Rien de significatif mais un premier signe que mon routage allait s’avérer atypique et mal adapté à une course, même contre le chrono.
Les routines se mettent déjà en place, shopping dans les stations-service, l’eau puisée dans les cimetières, pizza au resto le soir. Même sur cette route peu fréquentée, je croise quelques coureurs identifiés assez facilement aux éléments de sécurité obligatoire sur les vélos. Échanges souvent bref, il y a encore peu de choses à raconter.
Première nuit, tout se passe au mieux, la météo est idéale, les routes autrichiennes larges et propres, à peine perturbées par les fêtards du samedi soir…
La fin de nuit approche, dernière bosse pour passer en Slovénie à Kranjska Gora au pied du CP1 et je suis sidéré par un panneau routier annonce 600m à 18% de pente pas de suspens, je n’arriverai pas à le franchir sur les pédales. J’ai bien tenté sur 100 mètres avant de me rendre à l’évidence, j’irai plus vite à pied et tant pis pour l’amour-propre. Descendu à la station Slovène juste avant l’aube, il est temps de se reposer, pas loin de 18 heures après le départ et avant d’affronter la double ascension imposée, Vrsic et Mangart, 2700m de dénivelé, des virages pavés et la vallée de la Soca pour le plaisir des yeux. Une heure de sommeil dans un sas de banque, avec une machine à café. C’était une invitation au bivouac non ?
Première ascension facile sur la fraîcheur, un coca vite avalé en terrasse et j’attaque de ce fameux pic 1 en aller-retour. C’est souvent fort raide, le poids des bagages oblige à tirer fort, trop fort sans doute puisqu’à 10km du sommet je suis paralysé par 2 crampes simultanées dans l’intérieur des cuisses. Surpris, inquiet pour la suite, j’entrevois une issue en décrochant la sacoche de selle, la jetant littéralement au bord de la route en espérant la retrouver en redescendant. Et je tente de reprendre l’ascension, doucement, en faisant une pause à chaque tension dans les cuisses. C’est très long, même les jeunes skieurs à roulette montent plus vite que moi mais j’atteins enfin le sommet près de 24 heures après le départ.
~440 km parcourus sur les 2600 prévus à ce moment-là, deux poteaux de bois à la place des cuisses bien mal remises des crampes, je vais me lancer sur les 675km prévus jusqu’au pic 2 en Suisse, pas bien rassuré par mes capacités physiques et heureusement ignorant de la discrète tempête hivernale en approche…
Je suis passé en 29ème position de cette Three Peaks Bike Race au premier contrôle. Je l’interprète comme le signe d’un départ trop rapide dans ma recherche d’une explication, et de solutions, aux crampes. Elles me laissent avec quelques séquelles musculaires bien sensibles à l’appui sur les zones touchées.
Les longues heures de selle laissent du temps à l’évaluation personnelle et, quand il faut trouver une explication, de la frustration à l’autoflagellation il n’y a parfois qu’un coup de pédale. Dans le procès en « négligence ayant entraîné des crampes » qui occupe le début de cette 2eme partie, je me soupçonne de ne pas avoir roulé assez souple, de défaut d’hydratation, manque d’alimentation salée et d’excès de caféine. Le dossier de l’accusé est lourd, les sanctions immédiates et sans appel, je dois corriger le tout, sans certitude d’avoir bien jugé.
Sur la route, courte incursion en Italie, ravitaillement qui m’offre l’opportunité marquante de voir en action une cador, Jana, entrée dans le magasin en même temps que moi, déjà sur le vélo alors que j’ouvre tranquillement un paquet de chips posé sur le rebord d’une fenêtre. Un autre monde.
L’après-midi de cette J2, quelques km au ralenti, premiers émois météorologiques, pause abribus au plus fort de cet orage d’été assez banal, je découvre une première alerte météo sur le téléphone, je prends de nouvelles crampes juste en me relevant du banc qui m’accueille pour cette pause ponctuée d’une micro-sieste, mon état physique ne s’améliore pas, la couleur du ciel non plus.
En soirée il apparaît sur la carte des positions GPS que les routes vers le CP2 prennent majoritairement des orientations Sud par l’Italie ou Nord par l’Autriche. Je me trouve isolé avec moins de 10 coureurs dans ce qui sera appelé la « voie du milieu » , par la Suisse, plus escarpée et à peine plus courte, que j’emprunte faute d’avoir identifié de meilleures options lors de la préparation avant la course. Je suis trop engagé pour changer ma route et je poursuis comme prévu, avec le sentiment d’avoir prévu un routage fort peu optimisé.
La soirée débute après 560 km parcourus et une deuxième pizza engloutie, attablé dans un resto, après avoir pris soin de quitter l’Italie pour profiter de cette spécialité toute Autrichienne. Début de nuit en selle avec des séquelles des crampes dans les cuissots, la température baisse sensiblement, 12°C mini au cours de cette nuit passée à plus de 1000m d’altitude.
Quand je décide de dormir à 2h00, me voilà entré dans le Südtirol, région italienne germanophone, une nuit magique à la belle étoile dans l’herbe au pied d’une église, 90 minutes de sommeil et quand le réveil a sonné j’étais déjà en selle.
Une petite centaine de km parcourus au cours de cette deuxième nuit mais je me réjouis d’avoir calé un cycle de sommeil apaisé dans l’espoir de régénérer les jambes toujours douloureuses.
La 3eme journée débute sous le soleil et sur de petites pistes cyclables bien tranquilles jusque Merano. 9h petit cappuccino pour lancer1800m d’ascension matinale et avant même de quitter la ville, je subis une rupture du câble dérailleur avant. Bloqué sur le petit plateau, pas vraiment surpris, je sais que ma fidèle compagne a une faiblesse ici mais déçu parce que j’ai pris la précaution de faire changer ce câble une semaine avant le départ. Nous sommes lundi, la ville est assez grande pour compter quelques boutiques de cycles, je tente ma chance au hasard chez un loueur qui malgré sa bonne volonté apparente n’arrivera à rien en plus d’heure de travail dans son container. Il me conseille un vélociste en centre-ville chez qui je me rends, visiblement plus pro, avec un technicien disponible immédiatement pour traiter le problème. L’affaire m’occupera la matinée complète mais je peux quitter Merano à 13h, câbles changés, prêt à attaquer 80 km d’ascension quasi continue mais pas rassuré par ce changement de plateau qui reste dur, pas très fluide malgré la réparation et je doute fort que ça tienne jusqu’à Barcelone.
L’après-midi par une chaleur accablante, 38°C sous le soleil, des routes nationales dangereuses pour passer en Suisse 🇨🇭 avant la nuit, sans manquer de passer quelques minutes avec le sémillant Pascal Bride, un coureur Français sur la même option de parcours avec qui le chassé-croisé dure depuis le départ à Vienne.
En plus du coût de la vie sensiblement plus élevé chez les Helvètes, je perds l’accès à l’internet mobile sur le GSM en sortant de l’UE…fini les prévisions météo régulières, communications et accès aux cartes en ligne. Une difficulté de plus mal anticipée.
Soupe, pasta et Wi-Fi pour le resto du jour en début de soirée, 850 km au compteur, la météo s’annonce orageuse demain, je me décide à reprendre la route dès le repas englouti en début de nuit tant qu’il ne pleut pas. Le col d’Albula à 2300 m comme objectif nocturne, franchi à 1h00 mais pas au sec comme espéré, pluie fraîche et rafales de vent violentes accompagnent le passage au sommet. Nouveau dodo de 3 heures avant l’aube au sec dans un sas de banque, comme une évidence en Suisse.
4eme jour, les premières lueurs laissent apparaître un ciel bien chargé, les paysages sont splendides mais les routes toujours si vallonnées, je n’ai pas de vision météo mise à jour. Et puis peu après 9h, le déluge commence, je me réfugie dans un garage automobile qui m’offre un abri, quelques boîtes en carton pour aménager une table, et un accès internet.
Je me pause près d’une heure, j’ai toujours une vision floue de la situation météo, ou plutôt je la comprends mal, alors je reprends la route à la première brèche et puis, une dizaine de km plus loin, je prends de nouveaux seaux d’eau sur la tête et il n’est pas encore midi.
Le col d’Oberalp est encore loin, un hôtel-restaurant me servira de nouveau refuge, cette fois pour toute l’après-midi parce que, pas de doute maintenant, les pluies sont torrentielles, les informations annoncent des chutes de neige sur les sommets, les autorités ferment les cols. Avec le recul, je sais que j’ai bien mal géré ce moment. J’ai passé ces heures assis à la table du restaurant, faisant sécher mes affaires détrempées sur un radiateur, les yeux rivés sur la pluie qui tombe ou les images de cols enneigés des fils d’info.
Pire peut-être, à 20h, la pluie semble s’arrêter et je quitte le restaurant dans l’espoir de franchir le col avant la nuit. En fait, je dois retrouver un refuge quelques hectomètres plus loin dans des conditions spartiates, attendre plus d’une heure dehors sur un banc dans mon sac de couchage, toujours sidéré par les conditions et mes décisions… Et je repars, 21h00, toujours décidé à franchir le sommet pour aller me poser au pied du col suivant pour la nuit. La montée se passe bien finalement, se termine dans la brume sans neige à 2046m mais sous 3°C affichés au thermomètre et je dois m’équiper de tous les vêtements disponibles avant d’attaquer la longue descente.
C’est mon instant givré de l’aventure : je ne suis pas équipé pour soutenir une descente si froide, je suis tendu par la route mouillée et je finis par perdre le contrôle de ma monture. Pensant d’abord à une crevaison qui ferait perdre l’adhérence, je me rends compte que tremblant de froid je fais moi-même tanguer le vélo latéralement. Pas question de s’arrêter par ce froid, je continue avec prudence, c’est interminable, la nuit tombe, j’arrive enfin en vallée et plutôt que chercher un logement au chaud, je maintiens mon plan d’aller me poser à Wassen au pied du Sustenpass. C’est très long encore avant que je ne me couche à la belle étoile dans un parc pour une nuit glacée écourtée à 3h00 par le froid.
Au réveil, encore traumatisé par les tremblements de la dernière descente, je décide de changer de route. Je contournerai le col qui mène tout droit au pied du 2ème segment obligatoire, une route que j’avais préparée en option, par Lucerne, 70 km de plus, pas mal de dénivelé mais des altitudes bien plus raisonnables.
Ce contournement remarqué m’occupera toute la matinée de la 5ème journée en selle, me fatigue considérablement prisonnier de vêtements et chaussures mouillées et le CP2 impose comme le CP1 une double ascension terrible, sauvage, face à des pentes parfois proches de 15% je me résous à marcher à côté de mon vélo de longues portions, les forces me manquent pour rouler. Je m’épuise, je m’en veux, trop sévèrement, de ce que je pense être des mauvaises décisions la veille et le matin. Je me rassure en retrouvant une route plus fréquentée par les autres coureurs, mais que c’est long. J’aperçois de nouveau Pascal qui a lui eu le courage de passer par le col et dans la dernière ascension, je vois Nicolas Michel en train de finir la descente.
Bien content de revoir un ami Liégeois en bonne forme, je repars en alternant vélo et marche jusqu’au bouquet final sous les averses, 500m de montée en gravier à pousser le vélo jusqu’au CP2 de la Three Peaks Biek race matérialisé par un banc et offrant un panorama de dingue…
Récit par : Julien Duflot
L’itinéraire
- 🗺️ Distance : 2781 km
- ⛰️ Dénivelé : 30 000 m D+
- ⏱️ Temps : 9 jours
- 📍 Lieu de départ : Vienne, Autriche
- 🏁 Lieu d’arrivée : Barcelone, Espagne
Le vélo de Julien
Pour cette aventure, Julien a utilisé un Axxome à patins, équipé d’un groupe Shimano 105 et de roues à moyeu Dynamo.
L’Axxome 350 a été imaginé dès le départ comme un modèle ultra-polyvalent. Son triangle arrière CCT+ et son moulage EPS optimisent le rendement tout en atténuant les vibrations, faisant de lui le partenaire rêvé de toutes vos sorties. Sans exception.