Laurianne Plaçais, Championne du BikingMan Origine 2023 revient sur la finale du championnat au Maroc. Découvrez le récit de sa course depuis l’intérieur. Au programme 1000 kilomètres entre route et pistes gravel dans l’Atlas marocain, pour boucler le BikingMan X et terminer en beauté une saison de haut niveau.
L’avant-course
J’aborde cette dernière course de la saison assez peu rassurée sur ma forme physique. Les entraînements ont été un peu « sauve-qui-peut » depuis le BikingMan Euskadi quelques semaines auparavant. Seul point positif, je suis bien à l’aise dans le gravel technique.
J’accuse une grande fatigue nerveuse et sans le reconnaître physique également. L’enchaînement de 4 ultras en moins de 7 mois n’est pas anodin et j’en suis totalement consciente ! Avec le recul, c’est sans surprise que je tombe malade avant la course. Malgré un espoir d’amélioration le samedi, je vais passer un dimanche horrible. Chaque secousse sur le vélo me tape dans la tête et j’ai la sensation d’avoir une gueule de bois de l’espace.
J’accuse une petite déception lors de la découverte du D+ global lors de la remise de la carte brevet mais quelques heures plus tard, vu mon état, je me dis que ce sera largement suffisant pour une fin de saison !
J’écoute le briefing d’avant course où nous découvrons le parcours mais je ne retiens qu’à peine 10% des informations tellement je suis dans le gaz.
Je file me coucher assez tôt et je ne prends aucun moment pour étudier le parcours : je n’ai même pas de carte en tête, je ne sais pas où sont placés les parties gravel, leur durée, le profil général du parcours. Je pars dans l’inconnu mais j’aime ça !
Lundi matin, je me sens moins mal. Je profite des derniers instants avant le départ. Avant je détestais ce moment, mais j’ai appris à y puiser du positif.
Première partie : du départ au CP1
Le début du parcours est neutralisé sur plus de 45 km, escorté par la police locale. J’ai un peu peur de la chute alors je me suis placée devant mais je prends le vent pour les autres. Ce n’est pas la super forme et comme souvent en début de course, j’ai des maux de ventre non identifiés mais qui finiront par passer.
Une fois la course réellement lancée, impossible de suivre le rythme de la tête, je n’ai pas la force. Je reste dans ma bulle sans y prêter attention. Le jour se lève et l’on peut profiter des paysages déjà époustouflants lors de l’ascension du Tichka. Les couleurs, l’architecture des villages, la roche… tout invite à s’évader. C’est totalement dépaysant. Je libère des émotions bloquées depuis plusieurs semaines et je reprends enfin plaisir à rouler, je profite de l’instant. Je remonte petit à petit les concurrents, ce qui me permet d’échanger un peu.
Axel Carion avait parlé d’un parcours avec des « portes » ouvertes sur d’autres paysages. J’ai ressenti cette sensation et ça a été une véritable claque, au point d’en retenir mes larmes. Le profil de la course n’est pas vraiment adapté à mes 60 kilos : c’est une longue traversée du désert avec un léger vent de face qui s’offre à nous jusqu’au CP1 où j’arrive en 5e position. Mais tout va bien, je prends le temps de passer aux wcs et faire une mini-toilette et je repars sans perdre de temps.
Deuxième partie : du CP1 au CP2
Je repars du CP1 juste devant Jalabert qui va me poser un gros sac à la sortie de Taznakht. Je le garderais en visu jusqu’au début de la première portion gravel. Très vite, mon Garmin m’indique un message d’erreur intempestif avec le fond de map qui prend la moitié de l’écran (sur un 830, ça ne laisse plus trop de place à la carte). Comme je n’ai pas du tout étudié la carte, je n’ai aucune idée de sa durée ! Cette portion est un véritable régal en gravel. Je bénis le fait de la passer de jour car avec un demi écran, ce n’est pas toujours évident de s’orienter et je cherche souvent la bonne trace. Le vent est extrêmement déshydratant et le choix du gilet de trail avec flasques est vraiment un bon choix. En fin de journée, vers 18h, la lumière commence à être totalement magique. Le soir se couche dans mon dos et c’est à la nuit tombée que je quitte cette longue portion de sentier. J’ai perdu 3 places dans l’histoire car même si je suis à l’aise, je ne suis pas très rapide sur ces portions off-road. Ravito rapide en eau pour tenir la nuit.
La seconde portion de gravel, de nuit, est moins drôle, un peu plus piégeuse. Je galère souvent pour trouver mon chemin et la fatigue aidant, je jure pas mal. Je profite de la longue portion de route par la suite pour refaire mon retard. Il fait nuit mais le ciel est clair et c’est la pleine lune. Les reliefs sont hyper dessinés. C’est une autre vision du paysage qui me plaît beaucoup aussi. Je fais le choix de rouler de nuit, ce qui peut être frustrant mais c’est une autre expérience… Je suis au pied du col qui mène au CP2. C’est l’équivalent d’un Revard en terme de ratio km/D+ mais à 1h du matin, je ne sais pas si c’est une bonne motivation. J’arrive au CP2 en 3e position. Maxime et Laurent en sont déjà repartis mais je ne me renseigne pas sur les écarts car ma stratégie était d’y prendre un peu de repos…
CP2, l’expérience du confort
Je tente d’aller me reposer mais impossible de m’endormir car j’entends tousser devant la porte ouverte du refuge. Je me lève, mange un porridge déshydraté.
Je vois que l’écart s’est bien creusé avec mes poursuivants qui arrivent au compte goutte et prennent le temps de se reposer. Je ne me sens pas au top et je sais que je dois capitaliser pour la suite de la course. Je retourne donc me coucher mais une nouvelle fois je ne m’endors pas. J’ai froid et je finis par m’envelopper dans une des couvertures berbères…
Moi qui d’habitude fuis le confort en course, à l’image de cette sieste au Portugal en photo, je me suis retrouvée dans une situation de bien-être assez indescriptible et que je n’avais pas ressenti depuis très longtemps. Je ne dors toujours pas mais je suis en lutte avec moi-même pour gratter 5′ de plus dans cette chaleur enveloppante…
Je finis par me lever et repartir, dans un état d’apaisement assez indescriptible.
Paradoxalement, ce refuge en altitude n’offrait aucun confort moderne pour notre vision d’occidental gâté : pas d’électricité, pas d’eau, pas de chauffage, pas de réseau… Et c’est pourtant ce retour à un confort rudimentaire qui m’a marqué, si je m’étais écoutée, j’aurais passé la nuit au coin du feu de bois.
3ème partie : du CP2 au CP3
Je repars donc du CP2 super apaisée par l’expérience de la couverture mais aussi super couverte. Par manque d’étude du parcours (je pourrais regarder le profil sur la carte brevet, mais je ne le fais même pas…), je n’avais pas vu que l’on continuait à monter… J’ai vite chaud mais je reste ainsi en vue de la descente.
Bifurcation à gauche sur une piste gravel et… Je découvre que la descente est en gravel… de nuit et sans frontale. Grand moment de solitude mais j’arrive à ne pas m’énerver (contre moi même). J’ai juste un gros souci avec mes cales spd qui ne se déclipent plus. Là dessus je rage un peu car j’avais demandé des pédales neuves à FX et il m’a laissé les défaillantes. Je traverse donc la vallée du Draa dans la nuit noire…
Cette frustration est oubliée quelques heures plus tard au lever du jour dans les Gorges du Dadès : le ciel est rose orangé, la pierre et les maisons ocres, c’est un autre monde. L’ambiance est superbe mais je commence sérieusement à subir la course. Je me sens vidée mais j’ai encore de la force pour appuyer sur les pédales. Je ne sais vraiment pas comment je vais arriver à finir la course et je doute vraiment. Pourquoi j’oublie toujours à quel point c’est dur ? À quel point c’est difficile d’accepter cette sensation de ne plus avancer, d’être collée ? L’altitude est certainement une explication à mon état puisque l’on est proche des 2000m et c’est le même état que j’ai connu sur le X l’an dernier dans l’Iseran et dans la Bonette cette année. Je continue à avancer, en faisant des plans pour la suite… L’objectif est d’atteindre le CP3 et si besoin, d’y dormir vraiment.
Cette traversée des Gorges du Dadès jusqu’au Tizi N’Ouano est une pépite, certainement la plus belle partie de ce parcours. J’arrive peu à peu à faire abstraction de mon état en profitant de ce paysage. Je comprend que l’on arrive au pied du col en gravel de 19 km. C’est bien, je n’avais encore rien compris au parcours puisque je pensais qu’il était juste avant le CP3…
Je fais une pause au pied de ce col pour me changer ; depuis le départ (un peu moins de 600 km), je roule avec un cuissard dont j’ai retiré la peau de chamois. C’était un peu un pari car je n’ai pas pu tester ça avant la course. C’est plutôt très positif côté humidité car il est complètement sec et grâce à ça, je n’ai pas encore de brûlures mais j’ai clairement mal aux fesses par manque d’habitude. J’enfile un autre cuissard avec une peau de chamois assez fine mais pas à ma taille, je vais le payer en fin de course…
Ce col n’est pas du tout technique, je suis collée mais je m’amuse. Vers la fin, j’apprends l’abandon de Laurent Jalabert et qu’en conséquence, je passe seconde au classement. Je pense que la bascule de la course s’est faite à ce moment. Je n’ai plus le souvenir d’avoir souffert après : j’ai complètement déconnecté.
La suite de la journée, dans mon souvenir, est une succession de traversées de villages où les conditions de vie sont vraiment précaires et où je suis, soit coursée, soit bloquée par les enfants. Avec la fatigue, cela devient pesant. En fin de journée, je suis rejointe par la voiture média et ça fait toujours du bien de les voir.
La descente de cette zone, à la nuit tombée, est encore très délicate : la route est très largement entrecoupée de nids de poules géants et il est difficile de prendre de la vitesse. Les chiens errants prennent la succession des enfants et je dois m’arrêter à plusieurs reprises.
Je finis par arriver au CP3 vers 23h où je vais enfin pouvoir avaler mon premier vrai repas depuis plusieurs jours.
4ème partie : du CP3 à l’Arrivée
J’avale entrée et tagine mais j’en aurais bien mangé trois. C’est là que je mesure les progrès réalisés sur le plan alimentaire grâce à Sébastien Diefenbronn. Manger à ce stade de la course m’était auparavant complètement impossible. J’en profite aussi pour me laver les dents. Je ne prenais plus le temps de le faire mais ça réduit bien mon souci de modification du goût au fil de la course.
Dormir n’est plus du tout dans mes plans. Florent Dumas a repris pas mal de temps sur moi depuis le CP2 et je veux conserver ma 2nd place. Après avoir partagé le repas avec lui, je repars tandis qu’il part dormir. Pas question de traîner.
Les souvenirs de cette partie de la course sont moins précis. Une grande partie du parcours va se faire de nuit. J’ai retrouvé l’odorat et ce n’est pas forcément une bonne chose visiblement puisque je ne sens que les odeurs de détritus lors des traversées de ville. Oui, il y a un fossé énorme ici de ce côté. C’est même hyper choquant. Des déchets, plastiques et verre principalement, jonchent le sol… partout. Trouver une poubelle relève du défi.
Le principal souvenir de cette nuit-là sera une longue portion gravel en toboggan sur une piste tout droit sortie d’un rêve. L’obscurité la rend encore plus irréelle car je ne peux pas soupçonner le paysage et les champs d’oliviers aux alentours.
Le début de la portion suivante est un autre chantier. Je peine à trouver le chemin, ma frontale est HS et à faible allure, la dynamo délivre très peu de lumière. J’y perds 15 bonnes minutes, le temps que le jour se lève et révèle un paysage de dingue : un camaïeu de terres ocres qui fait vite oublier cette galère.
Ce sera le dernier souvenir manquant de cette fin de course : je suis focus sur l’arrivée après ce passage, fatiguée et en gestion des brûlures mal placées liées à l’usage d’un cuissard homme trop grand. Sur les 45 kms commun aller/retour du parcours, j’appuie comme une sourde sur les pédales, les cuisses brûlent comme rarement en course mais j’ai encore de l’énergie pour mettre une pilule à Maxime Prieur venu m’accompagner sur les 100 derniers mètres de la course.
Conclusion
Une 2nd place derrière la star Maxime Prieur qui me surprend totalement car le profil du parcours n’était pas toujours à mon avantage et j’ai pris le départ un peu diminué physiquement.
Ce résultat me permet de remporter, devant les hommes, le championnat Bikingman Origine 2023. Il me suffisait seulement d’être finisher pour le gagner : les objectifs sont donc largement atteints !
Mais cette place, ce classement, sont presque anecdotiques face à l’expérience unique que j’ai vécue durant la course et tout au long de cette saison qui m’a profondément transformée.
Un grand merci à Axel Carion de nous permettre de vivre de telles aventures, à tous les coureurs pour leur bienveillance et aux Race Angels qui font de cette course un événement unique qui dépasse largement les frontières du sport
Le vélo de Laurianne
Découvrez en exclusivité le Graxx de Laurianne équipé du nouveau groupe Shimano GRX 12 vitesses.
Avec la nouvelle forme de manette optimisée pour le gravel, le nouveau groupe GRX RX-820 est proposé avec une nouvelle cassette et un développement de 10-51T en mono-plateau, adapté aux portions physiques en ultra-distance.
- Cadre : Origine Graxx GTO
- Groupe : Shimano GRX 820 1x12v
- Roues : Prymahl Vega C35 Pro Wide
- Pneus : Schwalbe G-One RS
Photos : Clément Siegfried et BikingMan
Récit à retrouver sur Instagram : @laurianne.placais