Lundi 29 mai 2023, il est 5h00 du matin à Biguglia quand le départ de la sixième édition du BikingMan Corsica est donné. Cette édition rassemble près de 200 ultra-cyclistes, pour une aventure longue de 1000 km et 18 000m de dénivelé, pour compléter un tour de la Corse à vélo et en autonomie totale. Découvrez le récit de course de Quentin Guignard, collaborateur Origine et finisher de cette édition 2023.
De Bastia à Porto-Vecchio, à travers les montagnes
Un long défilé de lampes frontales scintille dans la nuit en direction du Col de Teghime, au-dessus de Bastia. En guise de petit-déjeuner, les pentes à 12% de cette première ascension permettent de se réchauffer et de se mettre dans l’ambiance. Certains se laissent griser par l’euphorie et montent à bon rythme. D’autres plus prudents, tentent de ne pas forcer pour gérer l’effort jusqu’au CP1. Au menu de ce premier segment de course, 400 km et près de 9000m de D+. Sur le papier, ce tronçon est intimidant par sa verticalité et la succession ininterrompue de cols.
Partis à trois vélos Origine, avec Nicolas Henard, double champion Olympique de voile, et FX Plaçais, également collaborateur Origine, nous croisons de nombreux Axxome et Graxx. C’est l’occasion d’échanger quelques mots entre passionnés de la marque, tandis que le soleil se lève à l’horizon.
Nous basculons ensuite dans les montagnes à l’intérieur de l’île de beauté pour une longue escapade entre des villages accrochés à la montagne, des petites routes qui serpentent d’un massif à l’autre et des paysages sauvages à perte de vue. Nous passons le col de Biggorno, au km60 avec toute la fraîcheur d’un début de course.
La chaleur monte progressivement, d’une quinzaine de degrés au départ jusqu’à 26°C au km150. C’est à ce moment qu’intervient le premier orage. À l’intérieur des terres, les montagnes ont retenu les nuages toute la matinée. De plus en plus menaçant, le ciel finit par tonner et rafraîchir l’ensemble des participants.
Après 180km sans passer devant une boulangerie ouverte, le petit bar-restaurant à Erbajolo devient le refuge d’une dizaine de participants, heureux d’y trouver un abri, de la chaleur, mais aussi à manger et à boire. Près de 9 heures se sont écoulées depuis le départ et les premiers signes de fatigue apparaissent déjà sur les visages. Il faut dire que le parcours ne laisse aucun répit, avec déjà 4500m de D+ avalés.
La pluie s’intensifie et met à rude épreuve l’imperméabilité du matériel. Pour ne pas se refroidir, il faut maintenir son effort et continuer à avancer en attendant que la pluie se calme. Cela finit par se produire. L’après-midi est une succession d’éclaircies et de passages nuageux.
Au km 225 commence la très longue ascension jusqu’au Col de Verde. Ce sont pas moins de 30 km, avec des pentes accessibles, mais qui représentent tout de même plus de 2h d’ascension. Les premiers kilomètres s’engouffrent dans des gorges impressionnantes. De gigantesques blocs de roches forment le réservoir de Sampolo qui offre un joli paysage avant d’atteindre Ghisoni. Dans ce village, on retrouve dans un “point chaud” (nom Corse donné aux boulangeries) l’organisation du BikingMan et quelques participants. C’est l’occasion de se restaurer et de marquer quelques minutes de pause avant de poursuivre la deuxième moitié de ce long col. Comme à chaque arrêt, l’ambiance est très conviviale entre les participants. Chacun raconte les petites anecdotes de son parcours.
Dans la descente vers Cozzano, je retrouve mon collègue FX, 275km après le départ. On s’arrête ensemble au Casino. Il est 19h15, c’est le dernier ravito avant la nuit. On fait le plein et partage quelques photos à l’équipe Origine qui suit l’aventure à distance. Puis, chacun reprend son rythme en direction de Zicavo où les vaches et les cochons se baladent au milieu de la route. Il faut rester vigilant.
À la tombée de la nuit, on reprend une pluie diluvienne. C’est le pire moment pour être mouillé, car on sait qu’avec la fraîcheur de la nuit, on ne séchera pas avant le lendemain matin. L’objectif est de rouler jusqu’au CP1 (point de contrôle) au niveau de Porto-Vecchio, au km400 pour y manger et s’y reposer.
Peu avant 1h30 du matin, le premier objectif est atteint. 20h24 se sont écoulées depuis le départ. J’arrive en 16e position. Visant un top 15 en 60h environ, je suis satisfait, mais je me sens bien entamé physiquement. Les plus de 7000m d’ascension et les variations de températures ont attaqué la fraîcheur physique. Heureusement, les races angels sont très accueillants et aidant : repas chaud, prises pour recharger le GPS et les lumières, matelas pour dormir. Le seul problème est l’humidité et la fraîcheur de la nuit. Il faut bien se couvrir et mettre des habits secs pour ne pas trembler de froid et de fatigue en avalant le plat de pâtes. La couverture de survie est indispensable pour dormir 1 heure dehors. Le réveil sonne à 3h00, je suis transi de froid. Il faut vite se mettre en mouvement pour passer au-dessus de cette sensation désagréable. La trace est chargée, c’est parti pour le deuxième tronçon.
De Porto-Vecchio aux Calanques de Piana
Le segment entre le CP1 et le CP2 est le plus court avec 272km, mais comptabilise plus de 5000m de D+. Dès le dixième kilomètre, c’est le début de l’exigent col de l’Ospedale. Les pentes sont raides et demandent un effort soutenu. C’est une reprise dans la douleur pour le début de cette deuxième journée. Au sommet, le lac de l’Ospedale est bercé par la lumière du matin. Le spectacle est juste magnifique.
Je remonte sur un concurrent en cuissard Origine. C’est Antoine, dossard 114. Arrivé en 8ème place au CP1, il a fait plus de trois heures de pause avant de repartir. Nous engageons la conversation sur la beauté du paysage, mais aussi en pestant sur cette première ascension qui nous a bien émoussés.
Nous redescendons la forêt de l’Ospedale pour redescendre vers la mer, sur la côte ouest de l’île et entamer notre remontée vers le Nord. Le profil de cette étape n’était pas impressionnant sur la carte, mais ceci était extrêmement trompeur. Le parcours enchaîne une quinzaine de côtes d’un ou deux kilomètres avec des pourcentages parfois supérieurs à 12%. C’est vraiment casse-pattes. Les côtes ne sont pas assez courtes pour être passées en force à ce stade de la course. C’est long. Le mental se met à trembler. J’ai l’impression que ces successions de montées et de descentes ne vont jamais s’arrêter. Pour se consoler, de belles vues ensoleillées sur la mer se découvrent derrière chaque virage.
À Coti-Chiavari, je m’arrête dans un abribus pour une sieste de 5min, manger, boire, retirer une épaisseur d’habit. J’espère faire une remise à zéro pour repartir du bon pied. J’arrive enfin à m’alimenter ce que je n’avais pas réussi à faire de la matinée.
Le parcours longe de belles plages où quelques personnes bronzent et se baignent. À cet instant-là, il ne faut pas se demander pourquoi on s’inflige de tels efforts alors que d’autres se baignent et siestent sur la plage. Mon objectif est le CP2 en fin d’après-midi. Ce n’est pas le moment de divaguer. La montée du col de Zarzoggio est régulière et se passe bien. À 612m d’altitude, c’est autant de mètres de dénivelé de montés depuis les plages du début d’après-midi.
À Coggia, je crains de ne pas trouver beaucoup de villages d’ici le CP. Je m’accorde un arrêt boulangerie pour acheter de l’eau, du soda, et un éclair au chocolat pour arrondir à 5€ et payer en carte. La route continue en bord de mer, où on l’on sent que l’activité touristique est présente ce qui tranche avec le calme des montagnes que nous avons traversées depuis le départ. Dans la dernière ascension, je remonte sur Anouck, la première femme. Elle me confie qu’elle ne se sent pas en super forme, déçue de ces sensations. On se donne rendez-vous au CP2 quelques kilomètres plus loin.
À la bascule, c’est l’entrée dans les Calanques de Piana. Probablement le plus bel endroit de ce parcours BikignMan Corsica. La route à flanc de falaise se faufile entre les roches, la mer à ses pieds. Le spectacle est grandiose. La route très étroite plonge jusqu’au CP2. Il faut rester concentré et réactif face aux nombreux touristes qui se garent sur la route, traversent, ou sortent un peu large des virages. Concentration donc pour arriver entier au checkpoint.
À 18h30 au CP2, l’accueil est toujours aussi bienveillant et réconfortant. Le GPS est mis à charger. Je donne ma carte pour indiquer le temps de 37 heures et 10 minutes, et on m’informe que je suis 11e. C’est une grande et bonne surprise. Je n’ai pas vu les concurrents que j’ai remontés. Antoine, avec qui j’avais discuté le matin, repart justement du CP2 à ce moment. Je lui souhaite bonne route vers le Cap. Anouck que je venais de doubler avant la descente arrive à son tour en 12e place.
Au restaurant, je commande des pâtes, un peu de pain et une carafe d’eau fraîche pour refaire le plein de force. Je ne m’éternise pas et souhaite profiter du jour pour avancer au moins jusqu’à Calvi avant de faire une sieste.
Calvi, le désert des Argiates et le Cap Corse
L’itinéraire reprend vite de la hauteur avec des routes qui longent la montagne à mi-hauteur. Parfois, un troupeau de chèvres prend toute la largeur de la route. Il faut donc garder l’œil vif en sortie de virage pour ne pas se faire surprendre par une bête sur la chaussée.
Enfin, la nuit tombe et nous tournons sur une toute petite route qui doit mener jusqu’à Calvi. Cette route ressemble à de la tôle ondulée. Elle secoue à chaque coup de pédale. Il y a des trous, des cailloux. Je me fais secouer dans tous les sens sur le vélo. Le faisceau de la frontale tremble sur la route. Je tente de ne pas me crisper sur le cintre. Je me dis qu’il faut faire comme sur les pavés, mains en haut, relâchées et tenter de garder du rythme. Plus facile à dire qu’à faire. Chaque centaine de mètres semble durer des kilomètres. Je n’avance pas. La tête se remet à douter du fait qu’un jour je ne sois plus sur cette maudite route. Je m’arrête même pour regarder sur le téléphone combien de temps cela va durer. La réponse, encore une quinzaine de kilomètres. L’enfer, pas du Nord, mais de Calvi.
Et puis, comme toujours, avec un peu de résilience, cela finit par passer. L’état de la route s’améliore, Calvi est devant moi. À 23h, j’espérais y trouver un restaurant ouvert pour prendre de l’eau, mais je ne vois rien. Je sors de Calvi les bidons à moitié pleins seulement pour la nuit. Au pied de la montée suivante, je m’arrête sur un parking pour me couvrir davantage pour la nuit. Je profite d’un sol plat et sec pour fermer les yeux une dizaine de minutes.
La montée de Montemaggiore n’est pas la plus longue mais des rampes à 13% demandent un effort violent pour passer avec le vélo chargé de sacoches. Je mets tout à gauche (34×34) et tente de ne pas me mettre dans le rouge en alternant les phases assises et en danseuse quand la pente est trop raide. Arrivé au village, je m’arrête à la fontaine, soulagé. J’aurais de l’eau pour la nuit. Je sens l’envie de dormir me rattraper. Je n’ai que 1h10 de sommeil depuis le départ. Je m’accorde 10 minutes, quand soudain, j’entends Anouck qui arrive. Je lui indique la fontaine, qui semble la sauver également.
Après le village de Montemaggiore, dans la montée du col, des éclairs fendent le ciel. Le tonnerre gronde et rapidement de grosses gouttes tombent sur la route. Je n’ai pas le temps de trouver un abri ou de considérer à faire demi-tour pour m’abriter dans le village précédent. Je suis trempé. La température s’est nettement rafraîchie. Je n’ai pas le choix, il faut continuer à avancer pour ne pas avoir froid, pour ne pas rester dans l’orage, pour continuer à avancer vers le cap Corse. La pluie redouble d’intensité. Je coupe la frontale qui illumine le rideau de pluie devant mes yeux, et allume ma lampe avant au maximum pour voir mon chemin.
Quand la pluie s’arrête, je ressens la fatigue. Je m’endors sur le vélo et je me fais surprendre dans les virages. Je fais donc une sieste de 5min, assis dans le bas-côté. Puis je repars à vive allure pour arrêter de claquer des dents. Et puis ça recommence. Je m’arrête de nouveau 5 minutes. Et je repars de bon train. À ce petit jeu, Anouck revient sur moi. Elle ne dort pas et roule au train. Mes petites pauses lui permettent de rester au contact et ce qui met la pression sur mon possible top10. En effet, un coureur s’étant arrêté, c’est désormais une 10e place qui est possible. Ceci me donne la motivation de faire une croix sur l’idée de dormir une heure complète et de privilégier le minimum de siestes.
3h30 du matin, 4h, 5h du matin. Le jour va bientôt se lever. Je suis impatient de retrouver la chaleur du soleil et de voir la route un peu plus loin que le faisceau d’une lampe dans la nuit. Mais, une fois le soleil levé, j’ai encore envie de dormir. Je doute. Malgré cette nuit de bataille contre les éléments et la privation de sommeil, j’ai le sentiment de devoir vraiment dormir pour continuer. Mais cela impliquerait de dire adieu au top10, ce pour quoi je me suis donné tant de mal pendant la nuit. Je m’accorde donc une sieste de 20min qui je l’espère sera vraiment réparatrice. Et cela tombe bien, puisque c’est à peu près l’avance que j’ai sur notre première féminine et 11e au scratch. Je repars dans son sillage à 6h du matin pour basculer dans la dernière grande descente de col de ce BikignMan.
La route n’est pas finie. Le désert des Agriates est derrière nous, mais il faut encore faire le tour du Cap Corse et ses 3000m de D+. La route longe la côte. La vue est digne des cartes postales. Les montées et descentes s’enchaînent à répétition sur des longueurs de 2 à 5 km. Ce n’est jamais très dur, mais c’est terriblement usant et long.
Au bout du cap, on redescend jusqu’à la mer, puis on remonte 300m de dénivelé pour redescendre à la mer pour remonter l’équivalent. Je n’avance plus. J’ai le moral au fond des chaussettes. C’est alors que je croise l’équipe média du BikignMan. On filme une petite séquence avec une belle vue. Et je repars, le top10 est toujours à défendre avec seulement 3min d’avance au sommet de la dernière ascension.
Il reste une cinquantaine de kilomètres pour arriver. C’est encore long, quand on avance à 20km/h de moyenne. J’attends donc une heure, en gardant mon rythme. Je me force à manger pour essayer de bien finir. Et puis à 30km de l’arrivée, c’est le déclic. Je vais en finir. Je mets le grand plateau, je tombe les dents. Je ne ressens plus aucune douleur. Je vais finir. Je vais aller chercher le top 10. Je vais faire moins de 60h. C’est la montée d’adrénaline. Mes watts remontent, les côtes passent en force, les sorties de rond-point en danseuses pour redonner du rythme. Bastia se distingue à quelques kilomètres. L’entrée et la traversée de la ville sont très denses en ce milieu de journée. Je navigue entre les voitures et les piétons. Les kilomètres défilent et je vais arriver sur la route de Biguglia. C’est la dernière ligne droite de 3km jusqu’à l’arrivée. Je me couche sur les prolongateurs comme si les secondes comptaient. Dernier virage et je vois enfin l’arche et le tapis rouge d’arrivée. La cloche sonne pour signaler l’arrivée, les races angels se rassemblent pour applaudir. Je passe la ligne. Axel Carion m’accueille et me félicite. Je lui avoue en rigolant « je t’ai détesté parfois sur le parcours, mais merci pour cette aventure ».
Voilà, la boucle est bouclée. On me remet la médaille, le t-shirt noir de finisher. 57 heures et 15 minutes. 10e. Le résultat est là. Je suis ravi et soulagé.
Je vais pouvoir me changer, me doucher, accueillir les suivants à l’arrivée. L’aventure BikingMan n’est pas tout à fait terminée. Jusqu’au repas des finishers le vendredi soir, on revit la course entre participants, on fait de belles rencontres, on se partage des conseils et on se projette déjà sur les prochaines aventures.
La configuration
Cadre : Graxx
Roues : Prymahl Orion C35 R
Pédalier : Shimano Ultegra 50-34
Cassette : Shimano Ultegra 11-34
Pneus : Schwalbe Pro One 28mm
Périphériques : Ritchey WCS
Selle : Italia SLR Boost Superflow