Nous nous sommes entretenu avec le Dr Olivier Tostain sur les relations entre confort et performance, à vélo. En tant que pratiquant et avec une vision à la fois technique, scientifique et médicale, il nous éclaire sur les concepts de confort et de performance et leurs liens bien plus étroits qu’on ne pourrait le penser.
Pourquoi parler de ces deux notions qui peuvent nous paraître opposées ?
Merci de me donner la parole sur ce sujet qui m’intéresse, qui correspond à ma vision du vélo en tant que duo “homme-machine”, et qui à titre personnel me guide dans le choix de mon matériel. Le confort et la performance ont pendant longtemps été imaginés comme des notions opposées, antagonistes. Avec l’avènement des études posturales, les cyclistes ont souvent tendance à se placer dans une catégorie et à créer une dichotomie entre “confort” ou “performance”. L’approche moderne du cyclisme nous offre un réel changement de paradigme et je suis persuadé qu’en plus de ne pas s’affronter, le confort et la performance sont intimement liés.
Pourquoi s’intéresser à la performance ? Comment définis-tu la performance?
La performance ne signifie pas forcément vitesse maximale, course ou compétition : un système performant est celui qui offre le meilleur rendement, le meilleur résultat dans des conditions données. Pour faire le parallèle avec le secteur automobile : un moteur qui consomme peu et qui nous fait aller loin est performant ; ou avec un objet du quotidien : une ampoule peu gourmande en énergie et à la durée de vie longue est dite performante.
Si la performance ne se résume pas à la notion de vitesse, elle se rapproche selon moi de la définition de l’efficacité : obtenir le meilleur niveau de résultat pour la dépense la plus faible ou la capacité de produire le maximum de résultats avec le minimum d’effort, de dépense.
Chez le cycliste de loisir comme chez le plus sportif (et on le voit bien à travers la communauté Origine et les valeurs véhiculées par le Bikingman, les épreuves longues distances), les attentes sont aujourd’hui de rouler toujours plus longtemps, plus vite, plus efficacement et de façon plus confortable : c’est-à-dire avec moins de fatigue et de douleur. Qui veut aller loin ménage sa monture, et surtout son organisme selon moi. Un vélo performant serait donc celui qui permet au cycliste de tout niveau de remplir ses objectifs et de ne faire qu’un avec sa machine et en évitant les blessures.
Par ailleurs, il est certain qu’un vélo confortable est une invitation à la pratique, à l’entraînement, et donc à la performance : la boucle est bouclée.
Inconfort, quelles conséquences pour le cycliste ?
Parmi les phénomènes inconfortables, les problèmes posturaux et d’ergonomie sur le vélo peuvent être à l’origine de douleurs articulaires, musculaires, de tendinopathies par hyper-sollicitation ou par étirement. Cet inconfort a des répercussions immédiates biomécaniques, et se traduit par une baisse des performances objectives : pédaler efficacement et longtemps ne peut s’entendre que sans douleur. La fatigue musculaire et articulaire sera en effet le premier facteur limitant de l’efficacité au pédalage.
Tous les cyclistes ne sont pas égaux devant l’ergonomie, n’ont pas les mêmes besoins et surtout par les mêmes anatomies ni conditions physiques. Une position confortable et donc efficace pour l’un ne le sera pas forcément pour l’autre.
La condition physique et le niveau d’entraînement, mais aussi les caractéristiques individuelles (âge, souplesse, pathologies éventuelles) sont des éléments essentiels et qui doivent être pris en compte au moment de la configuration, c’est ce qui ressort d’analyse élargie de la littérature scientifique (1) à propos du lien entre biomécanique, bike-fitting, performance et prévention des blessures. Par exemple : les positions adoptées par les coursiers avec des drops et un allongement importants nécessitent un gainage et un engagement fort de la sangle abdominale et lombaire, ainsi que de la souplesse. Pour un pratiquant moins entraîné, ou tout simplement avec d’autres ambitions, la difficulté à tenir ces positions sur le long terme sera délétère en termes de performance car associé à une vraie perte d’énergie et un inconfort global.
Selon moi, la performance ne doit plus être l’apanage des cyclistes chevronnés ou des coursiers, tout comme le confort ne doit pas être réservé au cycliste amateur. Ergonomie, confort et performance sont indissociables et permettent à tous de se faire plaisir, de progresser et d’atteindre leurs objectifs.
Pourquoi un vélo est-il confortable, quelles sont les évolutions modernes qui rendent nos machines confortables, et donc performantes maintenant qu’on a compris ce qui unit ces deux caractéristiques ?
En effet, la technologie à beaucoup évolué depuis quelques années et l’industrie (et Origine tout particulièrement) a compris comment fonctionne et ce qui fait d’un vélo un système performant, au sens d’efficacité comme nous en avons parlé. Par exemple, l’idée qu’un cadre rigide à l’excès n’est pas nécessairement plus performant, est maintenant largement partagée. Et les innovations à propos des géométries, de l’ergonomie, l’évolution des pneumatiques, sont autant d’atouts qui apportent des gains significatifs en efficacité, en performance, et donc en plaisir.
Tu t’intéresses à comment sont construits nos cadres, tu es en relation avec nos ingénieurs, qu’est-ce que tu en retiens et que peut-on traduire pour nos pratiquants ?
Ce qui rend un vélo confortable résulte de plusieurs paramètres :
Le cadre est le cœur du vélo, il doit être conçu pour accompagner le pédalage et ne pas s’opposer au cycliste, tout en restituant l’énergie, c’est-à-dire en transmettant la puissance du cycliste à la route.
D’un point de vue technique et à propos de la seule conception d’un cadre : la géométrie, le lay-up* et les capacités d’absorption et la compliance aux déformations (rigidité/souplesse) sont les caractéristiques techniques qui permettent d’absorber, de filtrer une partie des vibrations, mais aussi d’offrir un vélo vivant qui accompagne l’effort du cycliste sans s’y opposer. Rigide là où cela est nécessaire pour transmettre l’énergie, souple par ailleurs pour le confort.
(*lay-up correspond au choix des fibres de carbone, leur disposition et leur association en fonction des zones du cadre)
Atténuation des vibrations de l’Axxome III pour un meilleur confort et de meilleures performances.
Un cadre ce n’est pas qu’un assemblage de fibres de carbone, c’est aussi une géométrie, que peut-on en dire ?
En effet, le design d’un cadre détermine sa géométrie. Il y a la géométrie intrinsèque du cadre propre à sa conception, et les ajustements que l’on peut y faire, via les périphériques comme la selle, sa tige, le cintre et la potence : la configuration personnalisée ou bike-fitting. Cette personnalisation est essentielle pour sublimer les qualités intrinsèques d’un cadre et prévenir les blessures (2). Comme nous l’avons déjà évoqué, le cadre doit être parfaitement adapté à l’anatomie et aux besoins du cycliste afin d’en tirer le meilleur (en savoir plus sur l’importance de l’ergonomie et du bike-fitting)
Les scientifiques s’y intéressent précisément. Une étude (3) portant sur 80 cyclistes montre une amélioration significative des critères “inconfort”, “douleur” et “fatigue” dans les 30 jours suivants un Bike-fitting. Les douleurs sur six zones spécifiques sont statistiquement diminuées entre les phases avant et après bikefitting (graphique joint), immédiatement et de façon pérenne. Les critères “confort” et “douleur” sont tous deux significativement améliorés après bike-fitting sur des revues (4,5) de plus grande envergure, avec une amélioration particulière sur les niveaux de douleurs aux genoux, mains, dos et nuque.
Finalement, on pourrait définir comme performant un vélo qui permet :
- d’utiliser la puissance du cycliste le plus efficacement possible pour la transmettre à la route, mais aussi :
- qui permet au cycliste de développer le plus de puissance possible, c’est-à-dire mettre l’individu dans les meilleures conditions pour produire de l’énergie. Une position inconfortable, des douleurs articulaires, des difficultés respiratoires sont intuitivement contre-productives. CQFD.
Cette définition permettrait de répondre aux besoins de tous les pratiquants, du loisir au plus chevronné et entraîné.
Y a-t-il d’autres facteurs que le cadre et l’ergonomie qui impactent le rapport confort/performance d’un vélo ?
Tu as raison, et sur un vélo moderne il y a d’autres éléments qui permettent d’améliorer l’efficacité globale. Les vibrations répétées provoquées par une route dégradée, un parcours cassant, sont d’autres facteurs pouvant dégrader la performance et l’efficacité.
D’un point de vue médical, nous sommes confrontés par exemple à des pathologies d’hypersollicitation ou de compressions telles que les syndromes canalaires (lire l’article complet ici), les pathologies de selle, et les douleurs du squelette axial (cervical et dorso-lombaire), provoquées par une route dégradée ou une pression inadaptée des pneus, qui sont autant de facteurs pouvant conduire à ces symptômes.
À ces conséquences neuro-musculaires s’ajoutent celles sur le système cardio-pulmonaire et respiratoire. La présence de vibrations entraîne une augmentation de la consommation en oxygène de 2,7% et du rythme cardiaque de 5 à 7%, publiée dans une étude (6) américaine. Soit une consommation d’énergie plus importante à effort équivalent, donc une perte d’efficacité comme nous l’avons défini plus haut (obtenir le meilleur niveau de résultat pour la dépense la plus faible).
L’absorption des chocs et des aspérités peut être assurée par la conception et la technologie du cadre, mais elle est désormais parfaitement soutenue par l’élargissement progressif des pneumatiques. C’est une vraie évolution, et même les coureurs professionnels utilisent aujourd’hui des sections de pneus autrefois réservées aux vélos de randonnée.
La possibilité d’installer des pneumatiques de sections plus importantes sur les vélos de la gamme Origine permet de diminuer les pressions et d’augmenter significativement le confort sans altérer le rendement (en savoir plus sur les sections de pneus, et les pressions idéales). Les vélos de route modernes comme l’Axxome 3 offrent cette possibilité et l’adage “wider is better” semble plus que jamais d’actualité, que ce soit pour ce qui est de la performance pure que pour des raisons biomécaniques et médicales.
Dr Olivier Tostain
Chirurgien orthopédique
Chirurgien orthopédique dans le groupe Nord genou, à Lille, il est spécialisé dans la chirurgie du genou chez le sportif. Il prends en charge les lésions ligamentaires (rupture des ligaments croisés), méniscales et les pathologies dégénératives de l’adulte. Cycliste depuis de longues années sur tous les terrains et passionné de technique, nous sommes fiers de collaborer avec lui pour bénéficier de son expertise scientifique et de son analyse sur les sujets vélos et santé.
Références
- Priego Quesada, J. I., Pérez-Soriano, P., Lucas-Cuevas, A. G., Salvador Palmer, R. & Cibrián Ortiz de Anda, R. M. Effect of bike-fit in the perception of comfort, fatigue and pain. J. Sports Sci. 35, 1459–1465 (2017).
- Scoz, R. D. et al. Long-Term Effects of a Kinematic Bikefitting Method on Pain, Comfort, and Fatigue: A Prospective Cohort Study. Int. J. Environ. Res. Public. Health 19, 12949 (2022).
- Priego Quesada, J. I., Kerr, Z. Y., Bertucci, W. M. & Carpes, F. P. The association of bike fitting with injury, comfort, and pain during cycling: An international retrospective survey. Eur. J. Sport Sci. 19, 842–849 (2019).
- Scoz, R. D. et al. Discomfort, pain and fatigue levels of 160 cyclists after a kinematic bike-fitting method: an experimental study. BMJ Open Sport Exerc. Med. 7, e001096 (2021).
- Viellehner, J. & Potthast, W. The Effect of Cycling-specific Vibration on Neuromuscular Performance. Med. Sci. Sports Exerc. 53, 936–944 (2021).